Pour se séparer des choses qui nous affectent, pour les laisser derrière soi, ou tout du moins avoir une chance de les rendre moins douloureuses et désarmantes, il faut bien les emballer, les mettre en forme le mieux possible, les ordonner, voire les classer et, ensuite, bien les emballer.

Voici donc les textes écrits cet été, inspirés par des événements douloureux, d’ordre banalement sentimental, certes, mais qui se veulent la mise en forme d’un questionnement plus général, sur la perte, l’attachement aux êtres, le sentiment amoureux, la profondeur du tragique, qui varie tellement d’un être à l’autre, qui s’attache à des choses tellement différentes. Mais qu’on pourrait tout de même résumées à des catégories assez simples : la paternité, l’âge, le nomadisme, etc. Il ne faut donc y voir, dans la mesure où j’ai atteint cette ambition, ni une confession ni encore moins les feuillets fous d’un journal intime, mais, c’est mon souhait, le compte-rendu d’une expérience, d’une réflexion, qui n’est pas celle des faits (qui n’existent pas) mais de la pensée et du dialogue qu’elle entretient avec l’écriture, physique ou psychique, qui l’accompagne en permanence, un paquet donc que j’ai essayé, une dernière fois aujourd’hui, d’emballer correctement.

L’écriture est un salut, temporaire, mais c’en est un.

Bien à vous,

l’auteur.

Paris, 22-23 août 2024

illustration : Picasso, Arlequin, 1923

Comme l’enfer

Tu me manques comme l’enfer
Si j’avais le temps d’oublier
Je voudrais dans un cœur en fer
Perdre le souffle et me noyer

Je promène des heures mortes
Qu’on a vécues sans en parler
Comme le vent dessous les portes
Faisait semblant de s’arrêter

J’ai des épines dans le cœur
Diable j’aurais dû t’avouer
Que je jouais contre les heures
Car le temps nous était compté

Je ne voudrais jamais te perdre
Malentendu qui nous fait chier
Le cœur mouvant les plis de l’herbe
Peut-être il fallait t’embrasser

Collègue amie et tes grands yeux
Toute l’histoire en résumé
M’assassine au détour des cieux
Pas de mémoire où te loger

La tragédie contemporaine
Toujours partir sans y songer
Alors que rien proche la haine
De vouloir toujours te compter

Millau, le 13 juillet 2024

Comme un grand papillon noir

Un poème a médité
Dans le fond de ma pensée
Ouverture matinale
Dans le calme du matin

Des mots encore inconnus
Qui m’apprennent que je danse
Depuis maintenant cinq jours
Le début de la semaine

Que tout s’est passé sans moi
Quand je pensais en surface
Que j’étais bien malheureux
Et perdu et délicat

Mais la joie m’attendait sous
Le remuement des journées
Au terme d’un long sommeil
Elle m’attendait sciemment

Assise au bord de mes gouffres
Comme un grand papillon noir
Les ailes grand dépliées
Sur la margelle du temps

Val des Vignes, le 26 juillet 2024

Un message de la lune

Eh bien voilà la lune nous dit au revoir
Elle s’épanche un peu mais on sent
Qu’elle a d’autres choses à régler
Je te dis au revoir ma belle
Que j’ai à peine embrassée

La Rochelle, le 29 juillet 2024

Les deux tragiques

« On ne ressent pas la même chose, elle est triste mais elle ne prend pas ça au tragique. », voilà ce que le discours de mon esprit a fini par conclure. Pour achopper un instant sur quelque chose de stable, s’arrimer, même sur un écueil, plutôt que de subir sans fin l’épouvantable dérive du regret, de la nostalgie, du manque, épouvantable mal de mer qui puise dans le sentiment d’irréparable, de non-retour. La nostalgie : maladie de la terre natale manquante, comme l’explique Kundera.

Le tragique ne peut sans doute pour elle être lié qu’à son enfant, et, par extension, à son père, au père de son enfant, qu’elle nomme souvent comme ça d’ailleurs. Se réveiller la nuit en se disant qu’on a perdu quelqu’un, je peux le vivre pour elle, elle ne le peut pas pour moi, ce n’est pas sérieux. J’imagine d’ailleurs que, du coup, c’est la vraie dimension du tragique et que ma panique à moi est d’un genre mineur. Pourtant elle est déjà bien effrayante. Je me suis donc effectivement jeté dans la gueule du loup, c’est vrai, c’est la parfaite expression : entre une mère et son enfant. Pas du tout parce que j’aurais voulu le moins du monde les séparer mais parce que j’ai donné à cette femme une importance qu’elle ne peut donner qu’à son enfant et par extension au père de celle-ci, même si c’est sans doute un mouvement réciproque et que c’est l’importance du père qui rejaillit aussi dans celle de l’enfant : l’importance de l’être qui compte le plus pour nous, temporairement pour moi, éternellement pour elle, dévorée de l’importance de son enfant et sans doute encore de l’importance de son père. La gueule du loup, aux mâchoires puissantes. Je crois que c’est en train de me faire comprendre, par procuration, c’est le cas de le dire, ce que c’est que d’avoir un enfant. La représentation, pour de vrai, de la maternité, contre celle, pour de faux, du sentiment amoureux. Quelle horreur. Cela me fait réaliser ce que c’est que d’avoir un enfant, c’est-à-dire, forcément, parallèlement, ou en retour, ce que c’est que de ne pas en avoir. La tyrannie de l’amour, c’est pour ceux qui sont parents une puissance du lien filial, tandis que pour l’amoureux, c’est une tyrannie presque choisie, qui ressort d’une élection, car même si on ne s’aperçoit pas forcément qu’on est tombé amoureux, on a tout de même le choix d’essayer de ne plus l’être. Ce qu’on ne peut oublier ou décider d’oublier, c’est le sentiment de perte immense, la certitude que quelqu’un est perdu, et la perception nette de cette fin dans un temps qui n’en a pas. Hors cas extrême, l’amour filial n’a pas à être remis en cause, et il est à la fois plus arbitraire et par conséquent plus puissant dans sa tyrannie que l’autre. Cela donnerait presque envie d’avoir un gosse pour ne plus penser à elle. Pour s’en remettre à un tragique avec lequel il n’est pas possible de jouer. Qui s’impose brutalement pendant que l’autre n’a cette force qu’au réveil, par prises de conscience qui vous prennent par surprise, et qu’on peut ensuite dorloter grâce aux ruses de la raison.

Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas mais ça ne l’empêche pas de les mater. Justement parce qu’elle joue en dehors de son domaine. Mais c’est une bien triste victoire et qui se paie cher.

Poitiers, Moitron-sur-Sarthe, 31 juillet-2 août 2024

Verbe

Je m’offre à toute la poésie du voyage 
Je glisse par saccades 
J’ai à peine le temps de me rattraper mais j’essaie de jouir l’instant 
Rien n’est facile et les gouffres sont nombreux, impardonnables
Il y a beacoup d’abimes de tristesse mais le temps passe et le vent, parfois, souffle 
J’ai beaucoup fui le soleil pour ne pas trop subir la netteté aveuglante qui paralyse 
Mais j’eusse été vraiment malheureux que la pluie s’éternisât j’avais trop de regrets
Il me fallait la secousse permanente mais je savais qu’à la fin ce serait le verbe
Le verbe magique qui me pardonnerait sans violence après qu’il m’eût rudoyé fort
Poussé vers des pensées extatiques 
Que par sagesse, et c’est ma récompense, je n’ai pas notées
Le voici, reviens-moi, parole divine, extase sans illusion, je te mérite 
S’il te plaît crois-moi, je crois avoir fait le nécessaire et je n’ai pas trop perdu la mire
Dis-moi que je sais encore écrire
C’est un soulagement à nul autre pareil
Heureux heureux heureux je suis à l’instant où ces mots frappent la page 
Je ne désire rien, pas même un prolongement
Car c’est assez

Orléans, le 8 août 2024

Love Is the Last Branch of Shame

I live this peculiar life
And it’s not about being singular
I feel like I’m standing in front a wall you can see through
Birds are singing it’s raining or cold or even the sun is shining
No matter what
I know some deep holes
We are not supposed to take in account
But I do
I do a lot
Any season for me dress its particular wall
Green in the spring orange in the fall
But still nobody’s supposed to stand and glance too long through
In the winter it’s black and white and blue
Dark sometimes but it is definitely not the worst
I am just standing not to make a statement
But finally I do
I feel the absence I feel the end
I’m playing endlessly the moments that will never come again
I do that mostly in the summer
When there are too many colours and no colour at all
And I find it awfull
And I play them again
What a life is that
Is it life for real at its deepest meaning
Or the many of a fool
I will never know
Because I am too old now to expect I will ever stop
It’s going to be my routine for the end of time
And I dig not even deeper
I just stand a lit bit more convinced
It’s going to be like this
Untill the end of time
It’s moving forward and there is more to say
But patience is the last vertu
You have to grow
Untill the poem goes
Further

Vichy, le 14 août 2024

L’ancre du cœur

J’ai une tristesse ancrée dans le cœur
Je songe au roman venu de l’Épire
J’ai rêvé tout seul il n’y a pas pire
J’ai laissé un fantôme éveiller ma douceur

Je passais des moments à rassembler nos cœurs
Dans des églises j’ai joué au martyre
Je suivais seul le fil de mon délire
Dans des musées je comptais les couleurs

Mais elle avait déjà plié les voiles
J’étais seul à mourir dans les étoiles
Aujourd’hui on ne meurt d’aucune crise

D’un tourment qu’on essuie par un massage
Yoga d’une heure à quoi bon un message
N’ayant jamais été vraiment éprise

Paris, le 16 août 2024

Destin

Présence lancinante qui ouvre des abymes
Absence permanente qui remplit le gouffre
Je vacille je suis ivre j’étouffe je souffre
Je dialogue avec un vers sans rimes

La violence extensible
Horizontale et verticale
Théologale et cardinale
Qui ne s’arrête pas
Montre le chemin de la mort
Avec de grandes mains rouges

Je réserve des lucioles pour la danse finale
Fuite sans fin d’une arrivée déjà là
On se demande à quoi bon respirer
Mais ça respire et ça respire encore
A tel point que parfois
Cela ne fait que ça
Bobine qui se déroule sur elle-même
La pensée abolie à force de s’effrayer

Apparition disparition le sol au pied de la lettre se retire
La matière entière se fuit dans un trou invisible
Aspiration inspiration instantanée
De l’univers réduit à son destin

Paris, le 17 août 2024

End of Summer

End of summer breaks their heart
They fall down like the drunken birds
They used to be in their childhood
All the lonely weekends
All the Sunday blues
It starts without a starting
It starts without a clue

The carpet endless they play their duty
Without a whisper in the room
The closets were full of treasures
Despite the evening gloom
All the summers end
All the summers blue
There’s too much colours on the blanket
There’s too many memories to be told

Summers are made to an end
And reminds us the only tales
Are made with the matter of language
Are made to be lonely told

Paris, le 20 août 2024

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