Chien

J’avais été élevé avec elle. Au sens propre. Mes parents l’avaient adoptée en même temps que moi, juste avant que je naisse je crois.

On mangeait ensemble, par terre, dans le même plat. J’avais la manie de sucrer mon steak, elle mangeait avec moi. J’étais à plat ventre par terre, elle me regardait et lapait de temps en temps. Devant mes parents, je me souviens d’une image de la cuisine, au début de leur vie maritale, j’avais trois quatre ans.

Elle venait me chercher au car scolaire, je ne pouvais pas jouer à cache-cache parce qu’elle me signalait aux autres. Un jour, je l’ai frappée parce qu’elle voulait manger le cochon d’Inde d’un copain, alors qu’il l’avait excitée pour le faire. Je m’en veux encore. 

Elle m’a aboyé une fois dessus, parce qu’on fouillait un tunnel dans les montagnes de paille. Elle avait disparu pour la première fois, elle était au fond avec son chiot.

Un soir, dans la nuit, ils nous ont effrayés à la mort avec un copain. Mais on s’est serrés l’un contre l’autre, on était grisés.

C’est l’époque où je ne l’ai pas reconnue, ils attaquaient les moutons tous les deux. Époque dont j’ai du mal à me souvenir, comme un trou dans l’histoire, juste avant la fin. Comme avec ma grand-mère, que j’ai perdue de vue un an avant qu’elle meure. Alors que nous avions été si proches, juste avant. La différence, c’est que j’avais quitté ma grand-mère alors que là c’est mon chien, qui m’avait quitté.

Un jour, je suis rentré de l’école, un samedi, vers midi, après le car, je l’ai trouvée allongée sur une plaque de polystyrène, mon père l’avait mise au sec, normal.

J’ai monté l’escalier, j’ai crié que Vanina ne bougeait plus, je savais qu’elle était morte mais je ne savais pas le dire. Ma mère a éclaté en sanglots, elle n’a pas pu le dire non plus je crois. C’est papa qui l’a fait, elle m’a dit.

C’est ma première expérience de la mort.

En fait non, mon grand-père est mort quand j’avais 8 ans, ma chienne 11.

C’est pas que j’étais moins attaché à mon grand-père, c’est que sa mort était liée au monde des adultes, mon chien est mort dans une relation avec moi. C’était ma première mort à moi. Je pourrais tout décrire des semaines qui ont suivi. La suite de jours en monde inconnu.

Je n’ai jamais pu avoir de chien à nouveau.

D’ailleurs, ma grand-mère disait toujours qu’elle ne voulait pas d’animal. Parce qu’ils meurent. Je lui en voulais mais je comprends, aujourd’hui.

Je fuis les relations humaines pour les mêmes raisons, sans doute.

illustration : Le chien, Goya, 1819-1823

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