Saillie drolatique commune
C’est amusant, au bas sens du mot, de ne plus aimer. On se sent fort, c’est un peu comme une victoire, on se sent les pieds déliés, pousser des ailes, dans l’absurde immense, on se sent libre de virevolter sans plus rien à payer : tout est gratuit, la chair, l’esprit, on ne doit plus rien à l’être qui nous emprisonnait : la personne qu’on aimait est morte, puisqu’on ne l’aime plus.
Et surtout, qu’on n’est plus aimé(e) d’elle. C’est là que le verbe perd tout son sens : on n’aime pas, on n’est pas aimé(e), on s’apitoie sur notre sort et on panse nos plaies avec ce verbe magique : aimer, ou plutôt, comme le latin savait dire : être aimé(e). Tout notre être repenti d’exister avec sa charogne qui menace, son devenir charogne, était suspendu, en sursit, dans l’amour d’un être qui n’était pas nous et qui nous permettait d’exister (la belle affaire !).
Mais quand se dévoile le mensonge de la transaction, l’être a repris du prix, et il faut payer cher : vous voilà rendu à votre première affaire, votre naissance et tout ce qui s’ensuit, c’est-à-dire l’encombrement d’exister.
J’ai donc eu la chance de me faire quitter, et d’être rendu à mes affaires de viscères : je n’ai plus qu’à compter le temps qu’il me reste à vivre à ce train-là, qui est un train de malédiction : se détruire à petit feu en croyant vivre, c’est le lot commun.
La forte affaire est de respirer quand même, et il y faut toute la force de la littérature. Parce que mon intelligence, si médiocre soit-elle, est la seule chose de moi qui n’appartienne à personne sans en souffrir.