Japon Promise
C’est comme si tout le monde connu se trouvait liquéfié d’un coup. Une goutte d’eau dans une mer d’encre. Le monde et toutes ses cartes désormais enfermés dans une tasse. Traversée sans rebord, un voyage aussi lointain est plus qu’un odyssée. Il efface tout avant même de tracer le moindre sillage. Europe, engloutie, vieux monde, tu n’es plus. Soleil levant, effectivement. Mue instantanée, le Japon happe l’occidental comme un papillon géant dont les ailes se déploient par-delà soi, traversant le présent pour l’annihiler au sens propre, le rendant caduque, sublimant le passé, aux sens physique et métaphysique, le rendant gazeux et le projetant dans une dimension purement théâtrale, depuis le fond de ses montagnes maritimes, cinglant, réalité martiale, impitoyable, le pauvre voyageur qu’il reduit en charpie pour en faire un homme libre.
Politique de l’échec mise en demeure d’échouer, échec et mat à l’échec, la promesse n’a rien d’un abandon au néant, d’une fuite éperdue hors le monde, c’est à l’inverse le monde qui se retrouve mis à l’endroit par ce saut pétrifiant dans une éternité de vie, brutale, inconcevable, effroyable, qui broie dans sa serre de dragon l’oisillon des peurs, des retenues, des mélancolies mesquines. Le phœnix retombe sur ses cendres. Le japon balaie sans faire oublier, il dresse des estampes et fait sortir des galeries du moi, dont il révèle la fausseté.
A mort le médiocre mais bas aussi les masques : aucune gloire à chercher, ce serait gravement faire fausse route et se condamner à être noyé et foudroyé en même temps sur place et sur le champ, foudre qui viendrait d’en dessous, aspiration foudroyante par le fond qui rendrait cette fois au néant tout projet de substitution d’ego, de tour de passe-passe en monnaie de singe qui miserait sur la quête de soi ou autre fadaise des continents du culte du potentiel individuel et de la réalisation de soi, contrées qui ont perdu de vue qu’une personnalité est rien autre qu’une persona, et prennent du coup tout pour un théâtre, sans transmutation aucune rendu aussi bien qu’à son anachronisme définitif, son exclusion du temps, son bannissement du cours des choses qui sont vraiment, qu’à la souffrance d’une éternelle inexistance. Leçon implacable que le Japon émet depuis le fond du monde à qui va le rejoindre : ne pas vivre au-dessus de soi.
Il y a des océans qu’on traverse moins qu’ils ne nous apportent, sabre sur coussin, le pays qui nous donne vie.
Kiyoaki Matsugae, pensées du 5 juillet 2021.
Sébastien Pellé, tous droits réservés.