Une prophétie de Laure
Laure se réveille, s’étire et prophétise :
Ne ratez pas la flamme au crochet du crépuscule.
Ou les colombes seront dépecées sans espoir de renaissance.
J’inverse la lave, je remplis le volcan, si vous ratez la flamme au crochet du crépuscule.
Laissez-vous démarrer vers le sel.
Vieille bave, vieilles liqueurs, les planches suintent de la sève et les voiles de la caravelle partiront en lambeaux.
Ne touchez pas la peau, ne songez pas y revenir. La peau est passée, la peau n’est plus, il faut laisser la peau à ceux qui ont à vivre.
Être mordu, c’est s’interdire un tout dernier soupir.
Votre âme est trop goulue, elle rechigne aux fraîcheurs de la grotte.
Ô le bel ange extérieur aux férus de la décomposition.
La cale, la cale, vieux mât, la sève, je te dis, suinte en perles de résines. Perles qui scintillent toutes mortes et collent encore aux doigts. Pas touche ! C’est clair comme cristal. Et même s’il darde, le cristal est une pierre morte aussi.
Ne rate pas la flamme au crochet du crépuscule.
Je brode des coussins pour tous les indigents de ton espèce.
Plus aucun vent serin, pas de repos, mon auberge est un tremblement permanent, un regret insatiable, un espoir qui détruit. Tu n’auras même plus peur dans cette nuit de la certitude que rien n’arrivera, qui ne soit pâle en regard de la flamme que tu as manquée.
Ce sont tes pas qui t’ont guidé.
Ne rate pas la flamme au crochet du crépuscule.
Tu es ivre de l’impossible et aucune caresse n’y pourra plus rien.
C’est ta faute, tu es fat, tu sais bien que ce n’était pas pour toi.
Que les beaux yeux et cætera. Pauvre hère, rejoins donc la foule des damnés.
Tu t’es payé le luxe d’être séduit par une intelligence : paie.
Ne ratez pas la flamme au crochet du crépuscule.
Ou les colombes seront dépecées sans espoir de renaissance.
Ta douleur, je la connais, puisque c’est moi qui l’enfante.
Ta douleur masculine, blanche comme une nacre et polie comme un galet. Toi qui croyais que la douleur venait d’une épine.
Tous les secrets sont une plaie : toutes les douleurs sont filles, elles se ressemblent et le pire est d’être, comme toi mon Jean-Baptiste d’eau douce, le seul à savoir, le seul à être dans le secret. Je te le dis : ce sont tes pas qui t’ont guidé ici. Tu eusses pu être ailleurs. Tu eusses pu n’être plus. Ta persévérance t’aura cousu une jolie robe de flammes. Ce n’est pas même un poison qui tue.
Mais non, le feu, le feu amplifié du crépuscule, le feu du déclin et la flamme qu’au crochet d’y-celui tu ratas.
La colombe est dépecée, sans aucun espoir de renaissance.
Ce sont tes pas qui t’ont conduit à ce massacre.
J’en ris d’aise.
Mais je te plains.
Et Laure se recouche.