Archives : 7 août 2021 « Un curieux manque d’inspiration »

Ce texte là, je ne touche pas, c’est le principe, se suffit à lui-même ; j’ajouterai juste un contexte géo-politique : une terrasse, un nouveau lieu, village, solitude de l’été vécue sur le mode mineur mais avec Mozart dans l’arrière des oreilles, je pensais à Ben parlant de l’artiste moderne : à un moment, le sujet n’importe plus, le style s’impose, il paraphrasait avec sa précision inégalable Malraux, avec cet exemple qu’il m’a gravé dans l’esprit : Van Gogh peut peindre une chaise, les amours se croisaient, c’était une période heureuse, nous qui détestons ce concept, sur son fond, à nouveau, de fin du monde… Le titre me fait penser au premier livre de Sollers Une curieuse solitude, très bon titre, très synthétique de toute notre époque, très courageux dans la nostalgie, c’est un auteur que je lis beaucoup, plusieurs livres de lui en même temps. Lesquels (comme il dirait) ?, et bien en ce moment, Portrait du joueur, Agent secret, Femmes. En fait, je lis les deux premiers dans les apnées du troisième. Les apnées ou les Daphnés… Une autre fois. Envoi.

Un curieux manque d’inspiration

Je vais te parler sans inspiration. Je suis vidé comme une écluse et je suis plein aussi, ta tendresse me comble et ton esprit tourne en moi, sans parole et sans image, tu es là simplement dans le temps qui passe, dans mon hésitation à fermer la porte, à fumer sur la terrasse, à passer l’aspirateur, à m’allonger sans faire un somme. Pourtant ce matin je me suis levé comme si je n’avais pas dormi autant depuis 30 ans. J’ai mis quelques minutes à comprendre que j’étais tout neuf. Je ne voulais pas l’écrire et je ne l’écris toujours pas. Je suis content de cette inspiration endormie, de ces phrases sèches qui ignorent la suivante, qui ne savent pas si elles seront la dernière. Je ne veux rien analyser, je chasse de ma tête tout début d’exposition. Je choisis d’ailleurs ce dernier mot pour son vague. Je voudrais bien sûr t’envoyer ce mot, maintenant qu’il prend forme. Mais non il faudrait que tu sois là, que je sois à côté de toi. Peut-être que tu me lis autrement d’ailleurs, j’ai tellement écrit pour toi, en pensant qu’il y avait une chance pour que tu lises. Je t’ai appelée ma muse, et tu l’es mais tu n’es pas que ça, bien sûr que non. D’ailleurs je veux être la tienne. Rien que ça! La prétention m’étouffera un jour. Tu es là, je t’entends presque, je pense à ce que tu dis, tes paroles pensent en moi, j’essaie d’en être un réceptacle digne. Je vois des morceaux de toi, tout me plaît et j’ai envie de te toucher. Enfin non, pas des morceaux, quelle idée, des impressions, des débuts de couleurs. Je vois une inclinaison de ton cou, que je n’oublierai pas. C’est bête à dire, je sais. Mais je l’ai dit, je n’ai aucune inspiration. Je sens que je change. Même si c’est encore plus bête à dire, c’est vrai. Je comprends des choses, je les prends en moi, elles me plaisent, elles me portent, même sans exaltation et je sais que je les porterai encore dans les moments de flamme. J’ai honte de t’avoir blessée. Honte pour moi mais ce n’est pas ce qui est important, j’ai honte d’avoir mis du temps à t’entendre. Je me dis que cela n’importe pas, mais quand même, j’ose croire que cela ne me viendra plus. Être léger mais présent, c’est difficile mais c’est la seule façon de vivre. Je le comprends. Et c’est sans doute grâce à ce manque d’inspiration. Ou alors c’en est l’autre face, le complément, l’envers ou la possibilité. J’arrête d’expliquer, je l’avais dit. J’arrête ici, c’est peut-être ça au fond, la vraie inspiration. Je ne veux pas être un poète qui t’emprisonne dans sa colle. Même si je t’aime alors que je suis assis sur une chaise.

illustration : Poussin, Nicolas Poussin – Apollon amoureux de Daphné, 1664